La croissance, oui ou non?

Posted By on Nov 11, 2011


Tout d’abord, demandons-nous pourquoi une entreprise de services croît généralement.

En générant des revenus supplémentaires, elle pourra se permettre une structure d’opérations qui contient des gens qualifiés et spécialisés (marketing, ventes, finances); elle pourra permettre à ses employés d’approfondir  leurs connaissances ou de faire diverses activités qui ne génèrent pas de revenus.  L’entreprise dégage de meilleures marges pour le même type d’activité : c’est le principe d’économie d’échelle. Ainsi,

  1. on a une masse critique qui permet à l’entreprise d’être reconnue sur le marché, ce qui génère des demandes des clients
  2. on s’assure de pouvoir répondre à des demandes du marché à tout moment
  3. on a plus de contrôle sur le choix des clients, la fixation des prix
  4. on s’offre un environnement physique de choix pour les employés, ce qui attirera les meilleurs candidats
  5. on diversifie les produits et services de l’entreprise : en allant chercher des nouveaux marchés, on se  protège des hauts et des bas de l’économie

Mais surtout, tout cela a pour effet d’augmenter la valeur de l’entreprise en plus de donner un sentiment fort de satisfaction aux fondateurs.  Malheureusement, certains ne le font que pour ces deux dernières raisons.

J’ai lu sur un site gouvernemental canadien un paragraphe qui expose les raisons pour faire croître une entreprise:

« Vous êtes peut-être satisfait de la situation dans laquelle se trouve votre entreprise et n’éprouvez pas le besoin de la faire croître. Cependant, dans le monde des affaires comme dans la vie, si vous ne bougez pas, ne changez pas ou ne vous améliorez pas, vous êtes peut-être mort. Les entreprises doivent analyser le présent et évaluer le futur. Pour faire face à un marché et à un monde des affaires changeant, elles doivent planifier pour survivre et croître. Une entreprise qui ne croît pas peut devenir complaisante, paresseuse, incapable de s’adapter et éventuellement incapable d’opérer. »

Personnellement, j’ai rarement vu un discours aussi peu convaincant : « Il faut grandir, car vous deviendrez paresseux ». À la base, ce sont de très bons conseils : c’est vrai que la stagnation amènera probablement votre entreprise à risque. Mais en quoi les améliorations passent nécessairement par la croissance? En quoi s’adapter constamment au marché et ne pas s’asseoir sur ses succès passé doit-il passer par la croissance?

Ce qu’on oublie souvent, c’est qu’il y a plusieurs risques majeurs qui peuvent facilement annuler tous les gains théoriques. Il y a des risques de dérive à plusieurs niveaux : expérimentation sur des marchés inconnus, complexité de la structure financière, complexité de la gestion des relations humaines, désirs divergents, manque d’aptitudes, laxisme au niveau des dépenses…

Et puis qu’en est-il des 5 effets recherchés de la croissance ci-haut mentionnés?

  1. La reconnaissance de l’entreprise sur le marché ne dépend pas seulement de la quantité d’employés mais aussi de la qualité des services ainsi que de la visibilité sur les divers réseaux (virtuels ou non). La capacité d’avoir du repeat business est un bon indicateur de la qualité du service offert.
  2. Les demandes du marché peuvent toujours attendre. Si votre marché est aussi volatile que vous ne pouvez pas vous permettre de refuser les mandats ou opportunités quand elles passent, alors il y a probablement un problème avec votre crédibilité, donc votre marketing et vos ventes.
  3. Le contrôle sur le choix des clients et des prix dépend grandement de la réputation de l’entreprise et encore une fois, de la qualité des services offerts. Pas de la taille de l’entreprise.
  4. Offrir un environnement de choix aux employés et de bonnes conditions salariales est une condition nécessaire mais non suffisante à leur niveau de satisfaction. Un environnement stressant, démotivant et déresponsabilisant dû à une croissance mal contrôlée peut convaincre vos meilleurs employés d’aller voir ailleurs. J’ai constaté dans ma carrière qu’un employé de qualité est généralement motivé s’il est entouré de collègues compétents et qu’il peut participer à des projets où il peut s’accomplir réellement. Ces projets comportent des défis techniques et humains et lui permettent de s’investir totalement.
  5. Pour se protéger des hauts et des bas de l’économie, vaut mieux avoir une entreprise qui ne dépense pas plus qu’elle ne rapporte. Certes, ici, la croissance peut aider : c’est vrai qu’en diversifiant les services on peut se protéger. En utilisant l’effet de levier, on peut aussi avoir un meilleur retour sur l’investissement. Mais du même coup, on est moins centré sur la vision initiale, on risque de perdre beaucoup d’énergie sur des domaines / marchés qu’on maîtrise moins bien. Ce qui nous place davantage à risque. C’est une question de choix.

À Montréal, et c’est encore plus vrai en informatique, on entend souvent que nous sommes dans un « petit marché ». Les contrats qu’une compagnie obtient sont ceux qu’une autre compagnie n’obtiendra pas. La croissance d’une entreprise se fait donc aux dépens d’une autre, car nous avons un pool de ressources limitées, autant au niveau des développeurs que des gestionnaires, ainsi qu’un nombre de clients limités. Le monde est grand toutefois, vous pouvez toujours viser les marchés internationaux!

Alors comment savoir quel est le nombre idéal d’employés dans une entreprise de services? Pour chacune, selon moi, il y a un moment où le nombre idéal est atteint, et où il serait sage de ralentir la croissance. Il n’y a pas bonne réponse valide pour toutes les organisations. Mais déjà, se poser la question, c’est un signe de saine gestion!

En agilité, une valeur importante est la capacité à s’observer et d’adapter constamment ( « inspect and adapt »). Nous avons des mécanismes pour améliorer la structure et les pratiques d’une équipe de développement logiciel : la principale est une rétrospective, où on discute en groupe de ce qui s’est bien passé et ce qui s’est moins bien passé, et où on propose des améliorations pour l’avenir. Je pense que pour une entreprise qui cherche à croître, ce genre de question pourrait faire l’objet de réflexions périodiques avec toute l’équipe.  En analysant en détail et sous tous ses angles les conséquences d’aller de l’avant avec la croissance, on s’assure de prendre une décision plus éclairée. En bonus, on obtient un meilleur buy-in de tous les employés, ce qui facilitera le chemin et diminue les chances de démotivation. Je crois donc que c’est un investissement qui vaut la peine.

Posez-vous les vraies questions, et ayez le courage d’y répondre honnêtement. Ensuite, allez de l’avant.

 

3 Comments

  1. Je me demande si c’est bien sensé, vu depuis la planète Mars, que le marché du service soit scindé en plusieurs entreprises. J’ai l’intuition que non, ce qui me met dans la cour de ceux qui partagent l’idée que la croissance n’est pas une solution en soi.
    Plusieurs choses (faits?) me font converger vers cette idée. Je vais tenter de faire le tri dans ma tête et de partager cela avec toi un de ces 4. Peut être à l’OpenSpace cette semaine 🙂

  2. Intéressant, Bob!

    Soutiens-tu que le marché du service pourrait être un réseau d’entreprises partenaires? Ou une seule grosse entreprise?

    Je pense que dans la théorie, le capitalisme amène cette idée que les entreprises, pour survivre en mode « compétition », vont naturellement se trouver des niches et se spécialiser. Théoriquement encore une fois, la qualité augmente, les meilleures survivent et les autres souffrent et meurent. En réalité, qu’en est-il? C’est un peu comme le système de santé public qui a du mal à garder ses médecins face à la concurrence du privé: quand les « ressources » (médecins, informaticiens, gestionnaires) sont limitées, la concurrence pour les obtenir augmente les coûts et ça n’augmente pas le service offert, en tout cas pas en quantité. Donc au final, ce n’est pas le client qui en bénéficie le plus. Il y a du gaspillage.

    Bien contente de voir que tu seras là mercredi! Et ce serait intéressant de pousser cette idée 🙂

  3. J’ai plutôt en tête un marché d’équipes.

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